remember that we lived 30.03.578
Son rire résonne, et Noah n’aurait pas pensé, mais ce son discordant lui a manqué. Il cligne des yeux alors qu’une goutte de pluie lui tombe dans l’œil, rigole à son tour et secoue la tête. Son cœur s’emballe parce qu’il ne sait pas mentir, n’a pas envie de Blake lui pose des questions, qu’il sache ce qu’il fait de mal.
Il baisse un peu la tête, laissant sans le vouloir de la place pour que la main de Blake se loge sur sa nuque, et le contact lui donnerait presque envie de pleurer, parce que c’est comme rentrer à la maison, c’est comme sentir une odeur et se faire submerger par un souvenir plus éclatant que le Soleil, c’est comme retrouver les bras de quelqu’un que l’on ne pensait pas revoir de sitôt et se rendre compte que l’absence pesait lourd sur le cœur fatigué.
Noah lui lance un regard, lit dans le sien qu’il ne le forcera pas à parler. Et dans sa tête, c’est un dilemme, un choix à faire. Il ne veut pas décevoir Blake, ne veut pas lui dire qu’il a perdu dans un simple combat, ne veut pas dire qu’il a répondu à la provocation initiale. Il veut que Blake soit fier de lui, qu’il le félicite en lui ébouriffant les cheveux, qu’il le prenne par l’épaule en riant de son rire sardonique. Il veut le rendre fier.
Il s’assoit, sourit de nouveau à la mention de nourriture.
Je dis jamais non à d’la bouffe, tu le sais.
Il ne dit non plus jamais non à un moment en plus avec lui. Comme une pause dans le temps, comme une bulle dans laquelle on se réfugie pour oublier que les secondes passent, que les minutes griffent, que les heures transpercent. Attablés autour d’un repas, ou simplement assis, se nourrissant de la présence de l’autre, élément familier auquel se raccrocher dans le tourbillon de la vie.
Blake a longtemps été son ancre, son phare. Quelqu’un de plus âgé sur qui compter, quelqu’un qui lui a appris à se servir de ses poings, quelqu’un qui lui a répété que fallait pas se faire bouffer par la vie, mais que fallait la bouffer d’abord, quelqu’un qui le portait jusqu’à chez lui lorsqu’il se faisait embêter par les gros durs du quartier, quelqu’un qui lui a insufflé cette force de vivre, l’obsession de se faire une place, aussi petite qu’elle soit, dans ce grand monde de merde.
L’odeur de cigarette lui pique le nez, les volutes s’envolant vers le ciel noir, suivies de près par les mots de Blake. Noah regarde au loin, serrant le poing. La peau sur ses phalanges le tiraille un peu, alors il diminue la tension, jusqu’à relâcher complètement ses mains. Quand la culpabilité pointe le bout de son nez, elle l’enveloppe tout entier.
Ses yeux reviennent sur Blake, surprend son regard pâle. Il lâche un rire sincère et secoue la tête, répondant enfin.
J’ai toujours voulu d’un grand frère, donc t’as le droit de… de t’inquiéter un peu pour moi. Au moins, y’a quelqu’un qui le fait. Enfin, t’es pas le seul, j’dis de la merde, mais…
Il pense à ses amis. Il pense à Leslie qui lui fait parfois la morale quand il voit les bleus sur son corps. Il pense à Lance, à Touya. Sourit de nouveau, parce que Noah aime présenter cette demi-lune sur ses lèvres, aime voir son sourire reflété sur le visage de l’autre.
Ça fait du bien quand t’es là.
Juste un fait, pas de reproche, pas de colère. Noah est juste content, sait de toute façon qu’il a fait l’autruche de son côté, alors n’a rien à dire à Blake. Il se dit qu’il devrait lui parler. Il se dit qu’il devrait lui raconter, non ? Alors il ouvre la bouche, mais d’autres paroles suivent et,
un petit feu prend vie dans sa poitrine, et il sourit comme un con.
Ah ouais ? J’suis aussi cool que ça ? Noah, le fanboy en toi est trop flagrant.
Il regarde son ami, les paumes appuyées sur le muret. La pluie rend tout plus froid, alors il a bien fait de prendre sa veste. Ici, la pluie est à la fois une bonne chose et une mauvaise. La bonne chose, c’est que c’est de l’eau gratuite, à l’usage multiple, aux vertus diverses. La mauvaise, c’est les fuites. Les gouttes qui tombent sans arrêt dès que le ciel pleure. Les plafonds tachés de moisissure. Et le froid qui rentre et qui gèle jusqu’aux os.
J’me rappelle, une fois j’suis venu te voir à l’Arena. J’entendais autour de moi, c’était la première fois qu’ils voyaient quelqu’un d’aussi jeune se battre aussi bien.
Un sourire. Noah, élevé dans la violence, dans la pauvreté, avec le conseil de tout faire pour survivre, ne s’est jamais dit que c’était bizarre qu’un gosse doive participer à des combats pour continuer de vivre. Non, Noah ne voyait que la force, la grandeur, la beauté grandiose de Blake. Mais, passé un certain âge, la lucidité a pris le dessus, le bon sens s’est frayé un chemin pour se rouler en boule dans un coin de son esprit, et c’est à ce moment que le sentiment d’injustice a germé. Ce n’est pas pour autant qu’il ne salue pas les talents de son ami.
Moi, à côté... Un sourire délavé. J’me… suis battu tout à l’heure. C’est des cons, et j’pensais que pour une fois, j’aurai pu… Si ça avait été du un contre un, j’aurais gagné.
Il cherche et fuit le regard de Blake. Cherche l’approbation, fuit son contraire.