introduction : snow covered pathL’inflexion mutine de rires s’échappe entre deux paravents ; sur son trône fait de montagnes immenses, au creux de mâchoires de rouges soieries, la maison Yoshiwara voit ses petites mains s’afférer à ce qu’elles savent orchestrer de mieux : abéquer le client du bout de doigts graciles, l’appâter doucement au gré de charmes et de chansons, de bijoux mirobolants et de conversations qui se veulent préliminairement anodines. Tous les pas de cette danse quasi-horlogère sont très paisibles sans l’entrain effréné qui gagne les couloirs à l’approche du soir, encore dépourvus de l’effervescence organique et animale qui semble gagner tant les mœurs que les corps.
C’était un de ces après-midi où Nemanja chassait nonchalamment sa propre paresse, s’esquivant de fastueuses cérémonies à la grâce de quelques sourires volontairement distrayants, et en ces jeunes heures s’était plutôt adonné à sa muse la plus inflexible, enracinée et inexorable, au doux nom de rangement : il avait ôté du chemin des vestes inconnues et parures familières conjointement jetées pêle-mêle sur les accoudoirs des divans, avait vidé des verres à moitié consommés qui s’oubliaient sur le mobilier ouvragé, avait ordonné les cousins précisément selon le dégradé de leur couleur, les avait réarrangés sous le joug de l’insatisfaction au regard de leur taille, puis, las de telles activités, s’était lui-même alanguis dessus comme la plus humaine des ornementations.
C’est là qu'Il tarauda le coin de son œil, tandis que lui-même gisait à mi-chemin de l’ennui et niché dans son repaire de coussins, passant les portes fait d’or et de peau pâle.
Voyez ce que le ciel nous apporte en ce bel après-midi. Par quelques contorsions abstraites et au noble sacrifice de coussins jadis soigneusement disposés, Nemanja barra la route du visiteur d’une jambe finement vêtue, le lorgnant d'un visage dépourvu de tout sourire mais où brillait une attention curieuse. Il ne me semble pas avoir déjà eu l’occasion de capturer l’attention d’un tel visage. D'un geste il s'ôta du canapé dans un mouvement de fluides robes bleues et de parures dorées, imposant taille et tissus à celui qu'il songeait déjà comme son futur client.
Perdu ? Ou peut-être pas tant que cela : un tel pas déterminé, vous devez sans doute savoir où vos pieds vous ont menés. Le voilà qu'il fait mine de laisser ses phalanges tomber révérencieusement sur sa joue comme une intangible caresse — une adulation moqueuse, incontestablement parodique, de gestes qui n’ont pour seul but qu’une simple bravade — appesanti son regard sur une crinière blondie qui en chagrine sa mémoire et des yeux en gemmes taillées dans l’azur des plus épais. Que diriez-vous d’une — ah, c’est vous, l’archéologue de ces réunions. La prise de conscience brise le moment avec la brutalité d’une exécution, ponctuant négligemment un silence maladroit avant que l’effervescence ne liquéfie sa cervelle au profit de la plus pure des exaltation. Ah—Mais vous êtes l’archéologue ! Vous tombez extrêmement bien, votre expertise me serait des plus éclairantes : voyez-vous, l’on m’a fait part il y a quelques jours d’un curieux monolithe à deux pas dans les montagnes. Mes compétences tendent malheureusement plus vers l’Histoire des sables chauds d’Origo que les dunes blanches de ces montagnes, et je ne peux légalement laisser passer un tel avis alliant pratique et théorie que le vôtre. Pour ceux qui croient en de telles choses, votre venue est un véritable coup du destin.
Dépouillé du moindre ménagement, Nemanja laisse échoir sa main pour venir en crocheter un bras inaverti et mener le pauvre homme vers le seuil des mêmes portes que ce dernier avait franchi quelques instants plus tôt — tandis que, dans les tréfonds bouillonnants de son esprit, cette dévorante passion, impitoyable si ce n’est insatiable, rôde et se bâffre de toute prétention logique, gangrène tant et si bien que toute réflexion se voit immanquablement dilapidée. Venez, la montagne n’est pas loin et ce ne sera que l’affaire d’une courte marche, je vous assure.
Et déjà leurs pas claquent sur les pavés d’un enfer glacial.