everywhere at the end of time
25.04
petit trigger warning: idées suicidaires
Je garde de ce jour un souvenir poisseux.
A l’errance s’est ajoutée la détresse, pernicieuse, de n’avoir des doigts que pour me tirer les ailes, pour me griffer le derme. Sur la détresse a pesé l’angoisse, son drapeau noir planté dans mon échine ; ah, la folie des grandeurs incrustée jusque dans mes sentiments les plus fades, et d’une simple coupure je fais une amputation.
La distraction, d’habitude bienvenue, de Kirke, a fini de marteler mon esprit trop faible, trop facilement détourné de ses ambitions - et quelles ambitions ! J’ai besoin d’un renouveau.
Alors je marche, à en faire saigner la plante de mes pieds. Je supporte ce corps famélique sur quelques paires d’ailes qui jamais ne s’arrachent totalement, et couvre mes seins, mes hanches et ma peau blême d’une robe pâle, crème, soyeuse. Je reviens, pitoyable, à la case départ d’Anima, dans l’espoir futile qu’un reboot répare les défauts de mon cerveau.
C’est Atlantis qui m’accueille, ses bras ouverts sur mes déambulations rêveuses. De fil en aiguille, j’atteins les trompeusement chauds bains Brumcorail, je plonge dans l’eau trop tiède pour être cerclée de stalactites, et la nature incompréhensible des lieux rehausse, un instant, ma pulsion de continuer.
Cependant, ça ne suffit guère. Je laisse ma carcasse voguer, paresseusement, entre quelques rochers, et mon regard s’accroche à la glace antithétique, j’y trouve ma réponse. La douceur duveteuse des bains n’est pas ce qu’il me faut - c’est la douleur, cruelle, d’une stalactite brisée entre mes côtes qui ravivera la flamme.
Cette addiction, je la tiens d’eux : de ceux qui m’ont rendue immortelle, qui m’ont cédé un indestructible réceptacle livré à ma conscience fendue, mes désirs si longtemps enfouis. Distraitement, je pense à ma mère. Que dirait-elle, si je fracassais le corps de son enfant, endormi lorsque moi je me poignarde ?
Peu importe.
Mécanique, ma main caresse l’un des morceaux de glace. Sa chaleur me paraît ironique ; je le sens presque battre entre mes doigts, comme si c’était la vie elle-même qui l’animait. Peut-être est-ce mon propre cœur que je perçois, l’instinct de survie menant une bataille stérile contre le devoir que je me suis moi-même infligé. Ce que je hais le plus, dans la mort électronique, c’est de devoir me réveiller aveugle, au creux d’un lit usé.
J’inspire, fiévreuse - brise la stalactite d’une torsion du poignet, et en soupèse la gravité. Souiller d’une mort brutale ce lieu si beau, si paisible pourrait constituer un sacrilège.
Peu importe.
La lame, de fortune, est levée ; mais je n’ai guère le temps de la plonger dans mes entrailles qu’une présence outrageusement familière fait fleurir sur mes bras des frissons malades. Je ne l’avais vu que de loin, aperçu un bleu si proche de l’eau que j’avais cru à une hallucination. Mais le cri - je le reconnaîtrais jusque dans la folie.
C’est comme un rituel, quelque part. Il hurle, je hurle à mon tour. Aujourd’hui c’est un rire qui déchire ma gorge, résonnant dans la chair glaciale des rochers. Je m’effondre dans l’eau, déconfit, et songe à la culpabilité qu’un témoin de mes actes pourrait causer. Opportunité à creuser, souffle quelque chose de sombre dans mon esprit ; et si cette âme tourmentée pouvait m’extirper, bien malgré elle, de cette alcôve poisseuse ?
Un nouveau cri. J’y réponds tout naturellement, appuyant le fragment de givre contre mon estomac. Et puis, mon Dieu, des bruits de pas. Quel spectacle j’offre, écroulé entre deux pierres, une fausse lame pressée au-dessus de mes reins.
Sans réfléchir, je glousse.
Ah. C’est embarrassant.