Tu avais pris l’habitude de venir ici, seule, solitaire aussi pour profiter de l’ambiance reposante des lieux. Pas de cris, pas de bousculades, pas d'effervescence au travail, d’ordres à donner ou de dossiers à gérer. Ici tu pourrais … Te détendre et souffler un bon coup, noyée dans la mysticité des lieux. Et mieux que tout : tu pouvais rester non loin de la première connexion des nouveaux joueurs d’Unity ; ainsi ton rôle de modératrice pouvait aider les novices à se retrouver dans l’immensité de ce monde. Tendant un doigt pour laisser un papillon se poser tu observes, tes gestes lents et calculés pour ne pas effrayer les petites bêtes allant et venant à tes côtés. Certains s’arrêtent pour t’observer, se faire un brin de toilette et repartir alors que d’autres prennent peur face à ton apparence cryptique.

Posé non loin de la théière régnant au centre de la forêt tu attends, tu te reposes, l’eau coulant du bec berçant ton esprit secoué par cette journée mouvementée. Tu n’as pas pris le temps de respirer de la journée, entre la sortie matinale des trois boules de poils partageant ta vie, les papiers à signer pour accueillir prochainement une autre bestiole en tant que famille d'accueil temporaire. Le rendez-vous à neuf-heures chez la toiletteuse et les confirmations prises par téléphone et sms avec lae dogsitter en charge de récupérer tes enfants pour le reste de la journée. Sans oublier ta journée de travail et tes réunions hebdomadaires avec tes collègues, le détour pour aller récupérer tes fils et leur promenade du soir, tu ne savais plus où donner de la tête. Tu t’es posée, tu as préparé leur repas, puis le tien et tu es partie t'évader ici, pour surveiller que personne ne tentait de causer du tort dans ton dos.

Maintenant tu n’avais plus qu’à prier que personne ne vienne te déranger.
Pour une fois.

La forêt des songes est probablement un des seuls endroits d’UNITY que tu ne cherches pas à déranger. L’ambiance est paisible, tu te sens calme, proche avec une nature dont tu ne peux jamais profiter quand tu n’es pas connecté. Tu parais étrangement calme, tournant en rond en ignorant les autres utilisateurs qui te lancent parfois des regards curieux. Il est vrai que tu n’as pas une apparence des plus accueillantes, mais tu sais qu’il y a pire que toi. Il y a toujours pire. Tu finis par rôder près de la théière et de son bassin d’eau, tu fais les cent pas, ça te fait toujours bizarre de pouvoir de nouveau fouler la terre comme si tu n’avais pas eu l’accident.

Tu grimaces, tu montres les dents, tu t’agites et finalement tu poses un pied dans l’herbe humidifiée par la proximité de l’eau. Tu viens t’asseoir et tu regardes le tout, tu es étrangement calme mais tu te prépares déjà à faire ce que tu sais faire le mieux ici : t’exprimer. Comme tous les jours tu as beaucoup de choses sur le cœur que tu aimerais évacuer. Tu plonges la main dans l’eau et tu viens en récolter, curieusement tu n’as jamais essayé de voir si la légende de l’eau euphorique est vraie. Tu viens en boire, tu n’as aucune sensation et tu te contentes de soupirer. Finalement tu te redresses, tu t’éloignes et tu viens commencer à griffer les arbres.

Puis tu te prends au jeu, tu aimes bien ce que ça fait. Tu es presque tenté de commencer à chercher à fouiller dans la conception même du niveau mais tu restes calme, tu te contentes simplement de manger les fleurs en brisant le silence paisible de cris divers et variés.

Tu te pensais seul, ou du moins assez éloigné de tout pour qu’on ne vienne pas t’embêter. Tu veux profiter de la nature et extérioriser tous les soucis de la vie. Marre d’être malade, de ne plus être aussi actif qu’avant, d’être bousculé, d’être pauvre. Cette Société qui t’abandonne, tu as un trop-plein d’émotions aujourd’hui et ça se ressent un peu dans tes gestes et tes plaintes qui ressemblent plus à une façon de troubler le calmer qu’autre chose.

Il n’y a que quand tu reconnais les pas lourds d’un utilisateur que tu sembles t’arrêter. Tu tournes la tête vers la voix mécanique, attentif à ses paroles malgré tout. Tu ne t’attendais sûrement pas à le voir là, ce modérateur. Tu déglutis un peu, la mine défigurée par tes dents acérées. Tu remues instinctivement la queue avant de t’asseoir sur tes pattes, et tu n’oses pas vraiment parler. Tu te sens comme un enfant qu’on engueule.

« Non pitié, pas encore. Je pensais être seul ! Et j’ai besoin de ça. S’il vous plait… Juste encore un peu ? »

Tes deux index se rencontrent, tu baisses la tête comme pour l’implorer de te laisser tranquille. Ce serait une plaie de te retrouver incapable de t’exprimer pour encore quelques heures. C’est chiant à mourir.

Sincèrement, tu aurais préféré ne pas tomber sur un modérateur. Mais celui-là, c'est celui que tu préfères. Tu ne le croises pas souvent, c'est à se demander s'il est vraiment actif. Tu as quand même un peu peur pour toi et la suite des événements, et les négociations ne se passent pas comme tu l'as prévu. Pas du tout même.

« Les nouveaux joueurs n'ont rien à faire là. Que je crie ou pas, ils ont peur de moi. Beaucoup ont peur. Mais… On est un peu pareils, non ? »

Il faut le dire, vous n'êtes clairement pas les plus beaux avatars d'UNITY. De tes doigts maigrichons tu arraches quelques brins d'herbe, la tête fixant le sol – ou du moins ce qui s'en rapproche le plus. En fait, tu as peut-être hâte qu'il s'en aille pour reprendre tes conneries, même si aujourd'hui tu n'es clairement pas d'humeur à saccager un coin des serveurs pour faire comprendre ta colère.

« Je prends soin de l'environnement ! Les fleurs dépassaient, je ne comprends pas pourquoi vous vous prenez la tête comme ça. »

Sous la frustration, l'amas de vertèbres dans ton dos se met à remuer. Tu as vraiment cette impression d'être retourné en enfance aux moments où tu te faisais engueuler. Ce n'est… Pas du tout agréable. Tu finis par nerveusement gratter la chitine de ta tête.

« Bon, vous savez quoi ? Je suppose que je l'ai mérité, ce mute. Vous avez raison. Je suis impardonnable. Et m'excuser ne servira à rien, je suppose. »

Finalement, tu prends le temps de bien détailler l'avatar qui se présente devant toi. Vous n'êtes vraiment pas commodes, tu te demandes bien comment les serveurs ont pu lui donner une telle apparence.

« Vous n'êtes vraiment pas rassurant. »

Dans un long soupir tu hausses les épaules, tu ne comprends pas pourquoi cet… Agent continue d'essayer de te comprendre. Tu as encore beaucoup de choses à dire, à faire comprendre mais tu ne peux pas agir quand il est dans les parages au risque de finir définitivement banni de la plateforme. En vérité ça te ferait probablement les pieds, mais moins tu passes de temps hors d'UNITY, mieux tu te portes.

« J'ai l'âme pour faire plein de choses, j'aime découvrir. Mais on m'empêche de m'épanouir. »

Ta queue le pointe sans aucune gêne, tu l'accuses de ne pas te laisser être heureux. Tu as envie de te redresser mais après réflexion, tu n'as pas envie qu'il pense que tu cherches à le fuir. Alors tu te contentes de secouer doucement la tête, agacé de la situation dans laquelle tu t'es mis. Tu étais bien, seul à crier et voilà que tu dois faire la causette avec quelqu'un qui a le pouvoir d'anéantir ta vie.

« Ouais, un méchant flic, je vois ça. Comment êtes-vous devenu modérateur ? »

La curiosité te pique alors qu'un bruit tout sauf humain s'échappe de ta gueule. Tu n'aimes pas qu'on te touche comme ça et tu le fais savoir, la mine figée dans une expression mêlant agression et défense.

« Attention, à force de rester avec moi vous allez vous prendre d'affection pour moi. »

Tu finis par lâcher les quelques brins d'herbe entre tes doigts et tu te remets bien debout, le corps voûté que tu ne peux pas redresser sans avoir peur de tomber en arrière. Ça va vraiment t'embêter qu'il reste avec toi, tu vas devoir… Éviter d'être trop curieux.

« Vous n'avez rien d'autre à faire ? Je suis la seule menace potentielle actuellement ? N'importe quoi. »