L'inconnu·e et lui sont assis à même le sol, au milieu d'un champ de fleurs particulièrement odorants. Ce n'est pas inconfortable, vraiment, Leto apprécie plutôt la situation. A vrai dire, il s'amuse, et même s'il a perdu, il trouve le jeu supplémentaire divertissant. Leto n'aime pas être contraint par quoique ce soit, sauf les règles qu'il s'est choisies pour lui-même ; et un tournoi amical afin de jouer à des mini-jeux afin de gagner gros ou de perdre beaucoup, cela lui plaisait.
Finalement, le compte à rebours se lance, et un énorme "A vos marques, prêts, partez, gang of losers !" apparaît juste en dessous. Et Leto indique à son partenaire : « Eh bien, bonne chance, âme infortunée. »
Je ne suis pas venu.e pour gagner.
En m'inscrivant à ce tournoi, je n'avais pas d'autre idée en tête que celle de prendre du bon temps et de m'amuser un peu. Le prix offert pour les gagnants n'est pas excessif, je peux très bien m'en passer. Je veux profiter des possibilités uniques que m'offre mon corps libéré de ses chaînes terrestres.
Mais je ne suis pas venu.e pour perdre non plus.
J'acceptais avec sourire le badge me désignant comme perdant.e et me laissais docilement menotter à un inconnu, car je ne voyais pas ce que j'aurais pu faire d'autre. Je ne suis pas d'un naturel roublard ou compétitif, donc je ne peux pas vraiment m'étonner si je finis bon.ne dernier.e. Je ne suis même pas doué.e pour chanter, alors même au karaoké, je n'ai pas brillé. Mais j'espère que cette fois-ci, je ferai mieux. Une chasse au trésor, c'est amusant, et lorsqu'il n'y a pas d'autre enjeu que de trouver le trésor qui nous sauvera tous les deux, j'y trouve une motivation toute nouvelle à participer.
Le jeune homme à mes côtés est d'une élégance rare. Pas un pli dans ses vêtements recherchés, pas un épi dans ses cheveux sombres parfaitement coiffés. Mais c'est la pureté de ses yeux bleus qui me fascine chez lui. Son regard est d'une couleur si intense qu'il semble chercher à détourner mon attention des secrets qu'il pourrait y cacher.
Le top départ est donné, et les mots d'encouragement de mon partenaire sont particulièrement guindés. Je le regarde un instant, étonné.e, puis je lui dis :
« Bonjour, je m'appelle Sin ! Ravi.e de faire ta connaissance ! On se met en route ? »
Nous sommes assis à même le sol, mais se lever sans se concerter alors que nous sommes enchaînés est une tâche difficile. Je me mets déjà accroupi, pour qu'il comprenne que je compte me lever.
Pourtant iel désamorce la bombe de Leto en moins de deux, lui offrant en retour une sincérité désarmante - ne semblant pas le moins du monde déstabilisé·e par le choix de mots de Leto - mais en plus iel commence à se lever sans lui laisser le temps d'accepter sa proposition. Oh, mais iel le fait de façon sournoise, en n'esquissant que le geste de se lever, sans pour autant l'accomplir totalement. De sorte que Leto peut certes conserver sa dignité, mais en acceptant ce que cette personne désire. Un·e maître·sse en la matière, vraiment. Moitié irrité, moitié amusé, Leto accompagne le mouvement de la personne et les deux se retrouvent debout.
Autour d'eux, d'autres duos commencent à agir également. Ils ne sont pas les seuls perdants, mais s'ils perdent également ce jeu de consolation, alors ils seront vraiment les plus grands losers. Et bien qu'il ne connaisse pas Sin, Leto est persuadé qu'iel n'a pas envie de se retrouver en toute dernière place non plus. « Pour aller où au juste, Sin ? » : demande-t-il, curieux de savoir jusqu'où Sin est prêt· à diriger leur petit duo.
C'est un grand silence qui accueille mes paroles. Mon partenaire m'a de toute évidence entendue, mais il ne semble pas fait grand cas de moi, puisqu'il ne daigne ne pas me répondre. Le geste qu'il entreprend pour se lever ne manque pas d'une certaine élégance, mais son indifférence gâte le tableau. Est-ce qu'il a une dent contre moi ? Est-ce que mon apparence lui déplaît ? Ou bien est-il juste mécontent de se trouver dans le groupe des perdants, et a trop de fierté pour accepter ce statut ingrat ?
Lorsqu'il daigne enfin m'adresser - du moins, c'est comme ça que je vois les choses - il ne veut toujours pas se présenter. Est-ce que je suis censé.e connaître son identité ? Un léger doute m'habite, et s'il ne m'avait pas demandé la direction dans laquelle je veux me diriger, j'aurais peut-être fait l'effort d'essayer de me rappeler s'il s'agit d'une sorte de célébrité ou non.
Je regarde autour de moi. Nous avons reçu quelques instructions : nous devons trouver une des tables d'orientation qui ont été placées un peu partout dans la plaine pour pouvoir lancer la chasse, mais elles peuvent se trouver dans toutes les directions. Elles ne sont pas censées être difficiles à trouver : après tout, elles sont là pour nous guider, mais il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres duos qui peuvent prendre la même direction que nous. La plupart des participant.es sont assez pressé.es : iels se dépêchent d'avancer, persuadé.es que les quelques secondes qu'ils grapilleront leur donneront un avantage certain sur leurs adversaires. Je me retourne vers le jeune homme élégant pour lui répondre :
« Il semblerait que la plupart des gens soient déjà partis. On pourrait attendre un peu et voir où ils se dirigent pour les éviter. Ou bien on peut se diriger vers la Montagne par là-bas. Le terrain est plus accidenté et tout aussi touffu, la chasse a l'air plus difficile de ce côté. »
Je lui parle avec une certaine prudence, car je ne sais pas trop si le presser de questions l'offenserait. Je me contente donc de répondre à la sienne, pour le moment. Dès lors que nous serons en route, et que son humeur se sera éclaircie un peu, j'ai bien l'intention de lui demander son nom.
Sin propose donc de se rendre vers la montagne. Pour sûr, il devrait y avoir une table d'orientation là-bas, mais le terrain accidenté devrait dissuader la plupart des joueurs, désireux de ne pas perdre de temps en chemin. Le choix de Sin n'a rien de pertinent ; ils y arriveront après les autres, pour sûr, ce qui leur laissera moins de temps pour se concentrer sur leur mission réelle. Leto a désormais compris comment fonctionne ce jeu, cela dit ; les règles sont incontestables, mais elles sont formulées de façon à pouvoir être contournées si cela arrange. Ce jeu est truffé de pièges et de fausses routes, et ceux qui ont réussi à ne pas se trouver parmi le gang des losers sont ceux qui sont réussis à lire en travers des lignes. Bien sûr, Leto dira qu'il avait compris dès le début, même si cela est faux ; il ne l'a compris que trop tard, lorsqu'il n'était plus possible pour lui de faire un retour gagnant. Qu'importe.
Il apprécie ce Sin qui semble penser comme lui. La difficulté ne doit pas être évitée ; au contraire, ceux qui se montrent audacieux ont plus de chances de trouver un indice qui pourrait leur délivrer la première place. « Ah, très bonne idée, Sin. Faisons donc cela. » Doucement, Leto tire sur la menotte, lui faisant comprendre qu'il n'a pas l'intention de rester passif non plus. « Au fait, moi c'est Leto. Enchanté, âme infortunée. »
Mon attitude prudente se révèle la plus appropriée : je ne sens ni hostilité, ni soulagement de la part de mon partenaire, mais son comportement change de façon imperceptible. Non seulement, il acquiesce à ma proposition, mais il me fait enfin l'honneur de découvrir son nom : Leto. Je le trouve très doux et très élégant à la fois : il convient parfaitement à ce jeune homme réservé.
« Leto ? C'est un joli nom. Enchanté.e de faire ta connaissance ! »
Je laisse mon sourire le plus radieux éclater. J'ai l'impression d'avoir accompli un grand pas avec lui rien qu'en gagnant un soupçon de confiance. Naturellement, qu'il se soit ouvert me motive, et je me suis envahi.e d'une énergie incroyable.
« C'est super qu'on soit ensemble ! Allons-y ! »
Je dois réfréner mon enthousiasme pour éviter de foncer vers l'avant, mais j'ai un bon pressentiment. Je pense que Leto se révélera un bon partenaire, et que je vais bien m'amuser avec lui. Qui sait, peut-être même finirons-nous ami.es ? Ce serait formidable.
En attendant, la chasse au trésor s'annonce elle aussi amusante. J'avance d'un pas résolu, le sourire aux lèvres, surveillant du coin de l'œil mon partenaire. Je me mets même à chantonner, et je suis à deux doigts de sautiller. Ah, quelle belle journée ! Même si nous perdons, nous aurons plein de beaux souvenirs à raconter !
Au bout de quelques centaines de mètres vers la montagne, je remarque un point un peu plus clair au niveau du piémont.
« Eh, regarde, ce ne serait pas la table d'orientation ? »
Sin pointe du doigt une tâche claire incrustée dans le piémont. Leto plisse les yeux comme si cela lui permettait de mieux voir. « Sans doute, allons-y. » : répond-t-il lorsque Sin lui demande s'il ne s'agirait pas de la table d'orientation.
Et effectivement, lorsqu'ils s'approchent, il s'agit bien de ce qu'ils cherchaient. Il s'agit d'une vaste table circulaire avec un trou au centre et un petit accès qui permet de s'y faufiler. Faite de pierre blanche, sa surface est recouverte de dessins gravés et recouverts d'une encre brune. Leto reconnaît le dessin de la montagne vers laquelle il s'achemine ; le tracé approximatif d'un chemin menant à un col y est clairement indiqué, ainsi que d'une marque représentant peut-être une borne. Il la pointe du doigt : « Que penses-tu de ça ? » Ce n'est pas la seule "borne" indiquée sur la table, il y en a également d'autres, mais c'est celle qui a attiré le regard de Leto en premier.
À mesure que nous avançons vers notre objectif, l'impression que nous commençons à nous accorder me prend. Je ne saurais dire pourquoi exactement : avec ses jambes plus grandes que les miennes, Leto peut marcher bien vite que moi, et je me rends bien compte que je dois un peu forcer l'allure pour ne pas me faire distancer. Mais lorsqu'il se concentre vers son objectif, Leto oublie qu'il m'accordait à peine un regard lors de nos premiers instants. Je ne retrouve plus cette froideur élégante qu'il me réservait lors de nos premiers instants. Voilà qui me satisfait pleinement.
Le trajet se poursuit en silence jusqu'à la table. Je n'ose pas briser cette harmonie que je sens un peu précaire avec mes questions, mais je dois dire que ça me dérange quand même un peu de ne pouvoir en dire plus pour le moment. J'imagine que je dois faire preuve de patience avec ce type. Lorsque la table se dresse devant nous, ronde et blanche, nous nous mettons immédiatement en tête de la déchiffrer. J'ai du mal à transcrire ce que je vois sur la table sur le terrain, ce qui m'inquiète un peu, mais avant que j'aie pu exprimer mes doutes, Leto prend immédiatement les devants et désigne une marque, qui est trop nette pour être accidentelle. Je lui adresse un sourire gêné.
« Euh... c'est là qu'on doit aller ? » dis-je avec hésitation.
Il devra s'en contenter, parce que je ne sais pas vraiment quoi faire de l'information. Il y a bien un chemin qui mène vers le bas de la montagne, mais je pense qu'il doit se diviser quelque part plus haut en segments. J'aurais aimé pouvoir faire une capture du lieu, mais les règles du jeu ne le permettent pas. Tant pis. Je laisserai Leto nous guider.
« Mais je ferai attention pour repérer tous les détails qui pourraient nous échapper ! » précisé-je rapidement, pour éviter de me faire taxer d'incompétent.
Le chemin qu'ils arpentent serpente entre les terres douces comme un nuage. La végétation qui s'était faite éparse près de la table d'orientation refait à nouveau surface, les fleurs se transformant en buisson, jusqu'à ce qu'ils arrivent au niveau d'un petit bosquet. De là, un panneau indique plusieurs directions ; selon la table, ils doivent celle du nord. Elle indique « Versant des Embruns ». Leto fronce les sourcils en voyant le nom qui lui paraît antinomique.
Mais à force de marcher, ils finissent par arriver au niveau du clairière délimitée par une grande falaise blanche. L'air sent le seul et dépose de l'humidité sur leurs vêtements, ce qui est sans doute la raison pour laquelle on parle d'embruns. Un autre panneau indique aux joueurs : Trouvez la source, et vous trouverez peut-être un indice. Leto regarde tout autour de lui. Cela ne va pas être facile.
Leto marche d'un pas décidé, mais j'arrive malgré tout à calquer mon allure sur la sienne, en accélérant un peu. Avec l'altitude, l'air se rafraîchit un peu, ce qui rend l'effort plus supportable. Je suis toujours ébloui.e par le réalisme sensoriel de ces paysages oniriques, mais je n'oublie pas que nous avons un objectif à remplir. Nous bifurquons d'abord au niveau d'un panneau nous dirigeant vers le Versant des Embruns, puis nous continuons en silence jusqu'à une clairière, qui s'avère être notre première destination.
Je m'arrête un instant pour assimiler les informations contradictoires que mon corps reçoit. L'air est étrangement salé pour une montagne, comme si nous étions en bord de mer. Mais ce sont des arbres qui cerclent la clairière et non les vagues. Je ne doute pas d'être là où je dois être, mais je suis un peu pris.e de court par le décalage. Nous sommes au bon endroit : il y a un panneau qui nous invite à trouver une source. Cela paraît presque logique : il doit bien y avoir de l'eau salée quelque part, charge à nous de la trouver.
« Je vais à gauche, je te laisse la droite, tu me dis si on trouve quelque chose, d'accord ? »
Ma proposition est méthodique, et je ne m'embarrasse pas de savoir si Leto m'a bien entendu.e. L'envie de gagner me pousse à prendre les devants, peu importe si je froisse un peu l'égo de mon partenaire, car je sais que se séparer nous apportera les meilleurs résultats. Malgré tout, la recherche s'annonce ardue, car en dehors de la falaise et de quelques rochers qui en sont tombés, il y a peu de cachettes.
Je commence par m'approcher de la paroi. Je la sonde avec mes mains, pour voir si des morceaux peuvent s'en détacher. J'aimerais pouvoir me fier à mon nez, mais l'odeur est trop uniforme pour me guider. Je remarque très vite que la falaise est friable.
« Si ça se trouve, il faut creuser... »
De toute façon, Sin ne se retourne pas.
Leto part donc du côté opposé à la falaise, s'enfonçant un peu derrière les arbres. Jusqu'où peut-il aller ? Il aurait bien aimé des limites, tiens, c'est malin... Peu importe. Leto repère les arbres qu'il contourne, observant notamment le réseau de racines dans lequel il serait facile de se prendre les pieds. Certaines d'entre elles portent des marques sombres, et Leto s'abaisse. Difficile, cependant, de déterminer s'il s'agit de marques naturelles ou d'une peinture spécialement appliquée pour le jeu. Il pose son doigt sur l'une des racines, mais il ne resssent rien de différent : simplement la rugosité de l'écorce. Bon, ce n'est sans doute pas la bonne piste.
Il s'éloigne encore un petit peu, essayant de sonder une autre partie des arbres environnants la clairière.
Leto s'est éloigné de moi pour aller chercher des indices du côté des arbres. Je l'observe du coin de l'œil en train de fouiller les racines : son idée est probablement meilleure que la mienne, car si quitte à cacher quelque chose, autant le rendre difficile à trouver.
Mais je préfère terminer d'inspecter la paroi. J'imagine que si quelque chose doit s'y trouver, ce doit être à hauteur d'homme - seulement voilà, je suis plutôt petit.e, avec ma taille enfantine. Même en levant le plus haut possible mes bras, j'ai du mal à atteindre ne serait-ce que le quart de la paroi.
Je me contente donc de palper méthodiquement la roche, en espérant trouver un mécanisme ou quelque chose, mais je dois me rendre à l'évidence : je ne trouve rien, ou alors ce que je cherche est trop haut pour moi.
Je reviens vers mon camarade un peu dépité.e par mon échec.
« Alors, dis-moi, tu as trouvé quelque chose ? »
Tournant la tête, il se rend compte que Sin est revenu·e dans la clairière ; il décide de rebrousser chemin à son tour. L'expression dépité·e de Sin lui en dit long sur les résultats de saon partenaire avant même qu'il n'ouvre la bouche. Poussant un soupir, Leto répond : «Malheureusement, je n'ai pas eu plus de chance. » Il est pourtant sûr qu'ils ne se sont pas trompés de clairière, puisque la balise leur a donné une instruction.
Agacé, Leto tapote du pied, appréciant la sensation contonneuse à laquelle il n'est pas habitué. Il lui semble que son pied s'enfonce comme dans du beurre, ou comme dans un oreiller. Tournant la tête pour s'assurer qu'aucun lambeau de végétation ne s'est accroché à ses cheveux ou ses vêtements, son oeil capte un éclat de lumière. Leto se fige.
« Sin, regarde par là. » : annonce-t-il en pointant du doigt l'endroit d'où provient l'éclat lumineux. Et, à bien y regarder, il semblerait que quelque chose est accroché à une branche, comme un miroir ou une plaque de verre. Elle se trouvait dans leur dos quand ils sont arrivés, et aucun des deux n'a visiblement regardé dans cette direction depuis, ou alors à un angle qui ne leur permettait pas d'en voir le reflet.
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